Premières gorgées
Tôt le matin nous descendîmes les escaliers usés de notre cave séculaire. Les bouteilles posées à même le sol selon un alignement minutieux attendaient notre visite, brillantes sous le feu des ampoules oblongues poussiéreuses, se parant d'or ou de rubis, elles semblaient se pavaner pour être choisies, nous attirant de leurs galbes sensuels.
Parcourir les allées, enjamber rouges, blancs, Nuits et Beaune, bordelaises ou alsaciennes, avec lenteur et précautions pour ne point troubler l'équilibre des piles et l'agencement choisi par mon aîné. Il me regardait, bienveillant et un peu inquiet, prêt à saisir celle qui par son apparence saurait me charmer. Un partage simple donnant son sens à ce lieu secret réservé aux aimés plus qu'aux amis, aux sens plus qu'aux espérances, à la vie humble plus qu'à la frime étiquetée.
Du doigt je fis le choix d'une bouteille ornée d'un hanap et de liserés vermillions, je le vis froncer ses sourcils et compris que ce jour là, ce vin n'était pas à la hauteur de ses espérances, mais il accepta avec simplicité car il savait que respecter un désir se positionne au dessus du raisonnement qui impose l'obtention du plaisir.
Nous bûmes ce cru à table, longuement, peu de mots, des regards parfois, une main sur mon épaule comme si sa vibration pouvait transmettre son ressenti. Je sens encore sa douceur, son grain, sa texture et cette forme accomplie qui fait d'un cru sans grade une bouteille aboutie. Gorgées de bonheur nées du partage et du respect, gorgées riches d'enseignements qui font de nos expériences les plus infimes des choix de vie précieux et inoubliables.
Nous étions à la Saint Valentin 1979 j'avais choisi une Folatières 1976 du Gaston...j'aimerais ce cru pour la vie.