Meursault 2.0
Meursault 2.0
Le climat évolue et l’expression des vins de nos plaines et coteaux suit ce changement.
Nombre de solutions culturales utilisées durant plusieurs dizaines - boire centaines - d’années sont aujourd’hui dépassées car elles ne suivent plus le rythme du cycle général que connaissait la vigne depuis le petit âge glaciaire du Moyen Âge, soit depuis près de 500 ans.
Nous sommes passés de légers décalages temporels qui ont marqué ces années à un déplacement de près de quatre semaines de toutes les étapes de l’activité de la plante.
Nous ne récoltons pas seulement au tout début de Septembre en observant une maturité précoce des fruits…c’est beaucoup plus profond que cela. Nous avons un cycle entier qui s’est déplacé de plusieurs semaines et surtout ce déplacement s’est fait selon plusieurs sous cycles n’ayant rien à voir avec ceux du passé.
Ainsi lorsque nous récoltions fin Septembre, voire début Octobre, nos feuilles ne se maintenaient sur les ceps que jusqu’a la fin d’octobre, au mieux jusqu’au moment de la vente des Hospices - on notera que ces repères sont simples et pourtant essentiels -, soit durant environ 8 semaines. Cette période de mise en réserve s’est aujourd’hui allongée de 15/21 jours pour ceux qui préservent des moments de tailles optimums sans pretailler avec un feuillage en place.
On observera aussi que la période de dormance, ou la vigne voit la sève refluer puis son activité de pousse s’arrêter, s’est raccourcie en moyenne de ces mêmes trois semaines car il nous arrive fréquemment d’avoir des masses d’air chaud parvenant sur nos régions en Mars qui ont pour effet de réveiller nos plants et d’enclencher leur débourrement/éclosion. Le gel qui faisait rage au moment des saint de glace au début de Mai effectue alors ses ravages au début d’Avril…la encore trois à quatre semaines en avance sur les épisodes liés aux rythmicités passées.
En raison de la bonne mise en réserve de nos vignobles et du peu d’eau dont cette plante a besoin en hiver - j’insiste nous n’avons pas besoin de nappes phréatiques pleines pour que les vignes s’épanouissent parfaitement chez nous, des arrosages réguliers à partir de Mai suffisent - il est est assez évident que nous avons des sorties de raisins potentielles plus importantes que par le passé. Évidemment celles-ci peuvent être détruites par le gel lors d’épisodes « sanglants » dont il y a tout lieu de croire qu’ils se reproduiront fréquemment, mais en moyenne et en dépit de plants qui souffrent lorsqu’on leur demande trop les ceps sont étonnamment productifs ces dernières années.
Dès lors…nous avons un gros problème !
Nos vignes accélèrent au « mauvais »moment et semblent ensuite garder un rythme effréné en raison de notre activité qui depuis toujours consiste à l’amener à maturité alors que cela n’était que très rarement possible « avant ». Toutes les actions visant à mieux faire mûrir nos raisins en les positionnant au soleil, à amender nos sols pour que le peu d’inflorescence des sorties initiales arrivent à maturité en ayant un poids convenable, à décaper nos sols systématiquement pour tuer dans l’œuf toute concurrence végétale, a palisser plus haut pour favoriser la pompe à sucre, à écimer avant floraison pour la favoriser…toutes ces actions sont vacillantes et constituent désormais le corpus des actes viticoles qu’il ne faut surtout plus mettre en œuvre.
2023, sa grêle sur des vignes trop chargées et ces deux canicules très sévères, n’a pas fini de nous faire souffrir. Si les gros grêlons ont assez curieusement moins marqués nos fruits - 20 à 30% de pertes quand même - que les petites mitrailles du passé…ils ont sévèrement cassés/marqués nos branches et nos vignes vont avoir du mal à s’en remettre. Sans parler des meilleures branches de taille qui par endroit ne pourront être utilisées car cassantes.
Pour faire face à cela il faut sans cesse se remettre en cause et évoluer. Aussi…
…Depuis 2004 - au lendemain de ce millésime 2003 si atypique et sec pour nous - je réfléchis à l’évolution de nos pratiques en développant des projets sur la manière de poursuivre la récolte de raisins équilibrés avec ce temps qui change. Et si la culture biologique stricte est venue en complément se mêler à cette réflexion, nombre d’autres réflexions ont été menées avant ou en même temps au domaine: des densités plus élevées dans des secteurs de plaine fertiles, des labours plus profonds (très vite abandonnés, une funeste erreur qu’il fallait pourtant éprouver), un retour à un travail beaucoup moins mécanisé avec des engins plus légers, des écimages manuels pour préserver des sols aérés, une équipe doublée pour être plus précis dans le palissage, des labours hivernaux abandonnés et des ouvertures de sols beaucoup moins importantes et plus espacées en laissant poindre l’herbe, travailler sur le feuillage pour étirer la période végétative au maximum afin de conserver les principaux précurseurs aromatiques, et tant d’autres petites adaptations en constantes évolutions.
Aujourd’hui nous ne savons toujours pas si tout cela est « parfait » mais une chose est certaine, sur nos 60.000 ceps nous en remplacions 2400 par millésime il y a cinq ans et cette année 1000 de moins avec des secteurs qui enfin voient tous les ceps en très bonne forme.
Réduire nos rendements à 45 hl/ha en blanc et 38 hl en rouge nous paraît essentiel pour pérenniser notre viticulture et générer les vins concentrés et équilibres naturellement que la Bourgogne se DOIT de produire indépendamment des questions financières et de rentabilité.
Pour cela nous avons initié un programme de conservation de nos meilleurs plants en développant de puis quatre ans une sélection drastiques de nos plants les plus fins pour éradiquer les viroses afin de les reproduire dans une parcelle vierge de toute plantation depuis plus de 100 ans. Cette sélection avait effectuée en 1945 sur des plants d’origine pré-phylloxérique issus de la commune…
… la Mémoire des coteaux et une réflexion sans compromis pour envisager un avenir serein…Telle est notre vision de demain.
Patrick Essa - Domaine Buisson-Charles