La légende des œufs en or
Les fossoyeurs du Bourgogne ou la légende des œufs en or…
Dans un de mes textes précédents je prenais parti pour des vignerons consciencieux qui étaient injustement pris pour les boucs émissaires de la montée des prix des vins de Bourgogne. il m’est apparu nécessaire d’évoquer le travail de fond que ces producteurs ont réalisé pour parvenir au niveau d’excellence qui est le leur, un niveau qui positionne sans conteste leurs vins parmi les meilleurs de ce pays.
Un fait.
Dès lors il est assez surprenant de ne jamais entendre ou lire de critiques sur les domaines qui sont vraiment à l’origine de hausses stratosphériques et dont les prix ont été multiplié non par deux ou trois en 15 ans mais par 20 ou parfois même 50 dans ce même temps.
Nul besoin de les citer, chaque amateur les connaît par cœur et ce sont bien ces prix qu’ils ont en tête quand ils fustigent une Bourgogne dans son ensemble faites de multitudes d’appellations et de vignerons aux comportements très sages. Bâtard est cher alors le Macon Clessé et le Chablis premier cru sont immédiatement rangés au même niveau. Il en va de même pour l’ensemble des grands crus rouges et blancs qui servent à plomber les Auxey, Monthelie et Volnay qui eux ne demandent rien à personne.
Le consommateur est prêt à payer son grand cru spéculatif plus de 300 euros mais pas à se faire plaisir avec un joli premier cru de Beaune ou des Maranges à 25 ou 40. Et évidemment tous les viticulteurs sont alors des professionnels cupides.
Penchons nous quelque peu sur les mécanismes de ses prix actuels.
En premier lieu il y a la réputation acquise par un producteur consciencieux qui est reconnu pour son savoir-faire au plan international et national. Il ajuste ses prix à sa clientèle et en bon commerçant qui sait que pour avancer il faut investir, il augmente ses prix en tenant compte des marges que font les revendeurs sur ses vins. 30% cela lui paraît correct…100% beaucoup moins et donc , et c’est humain, il se dit que son vin fort demandé mérite d’être vendu par lui plus cher.
En second lieu, il y a un changement de génération au domaine et en associant les sommes fortes - voire très fortes - que le jeune exploitant doit sortir pour poursuivre l’aventure familiale en achetant les parts ou les vignes de tous les héritiers, il ne peut que se décider à aller vers la hausse de ses prix départ propriété. Il lui faut trouver un financement et évidemment son banquier ne lui demande pas autre chose. Sauf que si le domaine est « lesté » de vignes à forte valeur ajoutée…il n’a pas d’autre choix que de fortement augmenter ses vins en peu de temps où alors il vend une partie de ses vignes en propre.
Troisième aspect. Les vignes alors vendues par les héritiers si elles sont libres de droit, valent de trois à cinq fois - selon la qualité du cru - le prix d’une vigne baillée, rachetée par le domaine. Les vignerons qui se mettent alors sur les rangs pour acquérir un bout de village, premier ou grand cru paient alors des sommes astronomiques pour compléter leur domaine. Et évidemment la suite logique est de rentrer tout ou partiellement dans ses frais en augmentant les bénéfices pour financer l’achat.
Le quatrième point est à relier aux investisseurs qui font miroiter aux exploitants une aide financière « de mécène » en rachetant les vignes - lors d’une indivision, d’une vente ou d’un arrêt d’exploitation - et en les laissant à exploiter aux domaines qui, parfois, en étaient auparavant propriétaire. Évidemment outre le fait que cela fait monter très haut le prix des terres car alors les héritiers de ces vignes essaient de les monnayer au plus haut - surtout lorsque la Safer qui « arbitre » certains dossiers n’est plus dans une ODG - cela retire à long terme la possession d’une parcelle et inféode le fermier à des financiers soucieux uniquement de rentabilité. Les baux se font alors souvent à 25 ans…et à l’issue de celui-ci la vigne est libre et le vigneron peut être éjecté!
Vous me suivez!?
Mais il y a mieux. Supposez que les investisseurs soient aussi marchands de vin, où vont-ils se diriger pour placer leur argent? Eh bien évidemment dans les propriétés à forte notoriété. Ils pourront à loisir faire monter la cote de ceux-ci si leurs leviers commerciaux sont importants. Ils pourront aussi décider des prix du domaine en définissant une politique mondiale ou la bouteille doit être vendue au même prix dans tous les pays. Pour cela une enchère bien placée qui valide un prix « époustouflant » pour que le grand public sache quel prix certains sont prêts à mettre dans ces vins et…le tour est joué. Certaines bouteilles de Bourgogne passent de 20 à 300 euros en 5 ans. Et tout le monde se les arrache! Le passionné est curieux, le privilégié veut des bouteilles de privilégié et le mégalomane veut briller en société et sur les réseaux en affichant ces « belles » bouteilles.
Le cas des fortunés qui cherchaient à defiscaliser dans le monde de l’art, à placer de manière pérenne un trop plein d’argent qui est volatile sur les marchés financiers est également l’un des soucis du vigneron qui a la vigne chevillée au corps. Les domaines se vendent alors en entier à des propriétaires qui se sentent obligés de se montrer en refaisant des cuveries boursouflées à la hauteur de leurs vanité quand auparavant ils étaient divisés entre plusieurs acheteurs qui confortaient leur pré-carré. Le marchand de bien allant au plus offrant ou au mieux introduit. Mais de toute manière c’est une logique haussière inéluctable qui se met systématiquement en place.
Je passe sur la distribution de certains flacons qui ne se fait que par des paradis fiscaux. Je laisse le soin aux douanes et fraudes d’un jour épingler ces impostures de haut vol qui au fond nous font passer pour des fossoyeurs tout en conservant pour eux une image immaculée de grands producteurs intouchables.
Alors oui le vin de Bourgogne a augmenté et je pense pouvoir en décrire avec encore plus de précision les mécanismes mais NON tous les producteurs ne sont pas à mettre dans le même panier et surtout notre région n’est pas uniquement celle de ce qui y brille le plus et je dirais même surtout pas celle là.
Nous avons encore une âme de bourguignons attachés à nos valeurs et comme toute justice est immanente, elle finira par passer. Il ne faut simplement pas confondre le raisin avec les œufs en or qu’il peut produire…